Les dix plus grandes pannes des démocraties

Publié par Swissinfo.ch, 26 décembre 2016

Depuis les années 1990, les démocraties ont connu une expansion fulgurante. Mais la vraie démocratisation des régimes autoritaires a souvent peiné à se concrétiser. En considérant les pays les uns après les autres, on voit des systèmes hybrides entre démocratie et autocratie. On parle même de démocraties défectueuses, ou totalement en déliquescence. Voici ma liste des insuffisances et des échecs de la démocratie en 2016:

1. Le système électoral périmé des Etats-Unis
Dans la démocratie américaine, ce ne sont pas les citoyennes et citoyens qui élisent le président, mais le collège électoral. Celui-ci est composé de 538 «grands électeurs» issus des Etats. Pour la cinquième fois dans l’histoire des Etats-Unis, le choix de la majorité du collège ne correspond pas à celui de la majorité des électeurs de la base. La raison principale en est que dans la campagne, on peut miser sur les grands électeurs et gagner même sans la majorité des voix. Ce système est périmé et antidémocratique. Selon des politologues de l’université de Princeton, la démocratie aux Etats-Unis dégénère ainsi en oligarchie de super-riches, qui veulent exercer le pouvoir non seulement dans l’économie, mais aussi dans la politique.

2. La piètre qualité des élections dans les démocraties établies
Les élections américaines de 2016 n’ont récolté que 62 points sur 100 à l’«Electoral Integrity Index» de l’université de Sydney. Ce classement attribue des points aux élections dans le monde entier en fonction du processus selon lequel elles se déroulent. Les Etats-Unis y occupent le 47e rang, derrière des pays comme la Tunisie, la Grèce, la Mongolie, la Grenade, la Pologne ou l’Afrique du Sud. Pippa Norris, politologue à Harvard, voit dans le découpage des circonscriptions, la législation électorale et le financement des campagnes les principaux points faibles des élections américaines. Ceux-ci favorisent la polarisation politique et ne protègent pas assez contre les manipulations.

3. Le financement des campagnes non réglementé
Dans le monde entier, le maillon faible des campagnes électorales, c’est le financement. Les experts estiment qu’en 2016, dans deux tiers des cas, les législations nationales ne suffisent pas à garantir une issue indépendante du pouvoir de l’argent. Ceci menace la liberté de choix en tant qu’élément clé de la démocratie. L’assouplissement des restrictions sur le financement des campagnes aux Etats-Unis est un mauvais signe. Ce déficit vaut également pour la Suisse, où les élections parlementaires – en dehors de la problématique du manque de transparence sur le financement des partis que dénonce depuis longtemps le Conseil de l’Europe – sont effectivement vues comme exemplaires sur le plan international.

4. Des élections totalement ratées
Les élections 2016 en Syrie et en Guinée équatoriale ont été un échec total, selon les observateurs internationaux. En Syrie, elles se sont tenues en plein milieu d’une horrible guerre civile. Et dans le petit pays d’Afrique centrale, le président règne sans interruption depuis 1979, et il va continuer à le faire jusqu’à nouvel ordre. En République du Congo, à Djibouti, au Tchad, au Vietnam et en Ouganda, les élections se sont aussi généralement soldées par un fiasco. Parmi les causes d’échec dans ces démocraties sous-développées, on compte généralement l’enregistrement limité des électeurs, des partis et des candidats, une couverture médiatique insuffisante, ainsi que des autorités électorales dont l’indépendance n’est pas garantie.

5. Des systèmes présidentiels avec des traits autocratiques
En Turquie, une tentative de coup d’Etat militaire a été écrasée par le régime à l’été 2016. Fort de cette victoire, le président a lancé une vaste offensive contre l’opposition politique, les opposants dans l’appareil d’Etat et les médias critiques. Son but est d’établir une démocratie présidentielle. Ainsi, la voie démocratique subsiste, mais la qualité de la démocratie est massivement réduite au profit d’un système de gouvernement autocratique. La science politique considère les démocraties présidentielles comme moins efficaces que les démocraties parlementaires.

6. Un recul des libertés politiques et des libertés civiques
La liste de la fondation libérale Freedom House recense 72 pays dans lesquels les libertés politiques et civiques ont reculé en 2016, alors que la tendance contraire ne s’observe que dans 43 Etats. Pour la dixième année consécutive, la liste négative dépasse largement son opposée. La Chine, la Russie, les pays du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et d’Amérique latine sont en particulièrement mauvaise posture. Certes, le lien entre prospérité économique et ordre politique libéral subsiste, mais les progrès des libertés ne résultent plus automatiquement de la seule croissance, sans efforts politiques.

7. Le populisme peut réunir des majorités
En 2016, on a dit que la globalisation avait provisoirement atteint son sommet. Sur le plan économique, l’année a vu la montée de nombreux pays émergents et de leurs classes moyennes. Mais surtout dans le monde occidental, des parties de ces même classes moyennes se considèrent comme les perdantes de la globalisation. Les mouvements populistes de droite représentent en 2016 plus que jamais l’opposition nationale, qui exprime notamment les craintes de déclin des autochtones, l’euroscepticisme et exige l’arrêt de l’immigration. Le sommet de cette évolution a été atteint en juin, avec le vote des Britanniques sur le Brexit.

8. La souveraineté des citoyens, et pas seulement celle des Etats
En 2016, l’UE aussi connaît un déficit démocratique. Ceci se manifeste particulièrement dans le sentiment qu’ont les citoyennes et les citoyens de n’avoir que peu d’influence sur les affaires supranationales. L’UE a répondu aux crises en demandant plus d’intégration. Ici, la collaboration technocratique domine la compréhension politique. Mais l’Union oublie que la souveraineté au sens moderne du terme n’est pas seulement celle des Etats, mais bien plus celle des citoyens. Il manque toujours un équilibre entre les deux principes dans le débat sur la démocratisation de l’UE.

9. L’identité supranationale qui reste à forger
Les critiques des démocraties libérales qui ne partagent pas les doutes des populistes, comme le politologue de Stanford Francis Fukuyama, voient un déclin de la force d’intégration des démocraties. Leur réussite consistait à concilier différentes visions du monde – conservatrice, socialiste et libérale – sur un plan pragmatique au niveau national. Aujourd’hui, ce qui est demandé, c’est la formation d’une identité, tant nationale que supranationale, qui aille au-delà de la coopération économique. Sans cela, il est facile pour de nouveaux mouvements de profiter des crises pour attiser les ressentiments nationaux.

10. Des modèles non démocratiques pour les jeunes
Les évolutions constatées dans la jeunesse de nombreux pays, qui ne s’intéresse plus à la politique et ne s’occupe plus de la démocratie, sont effrayantes. S’agissant des systèmes sociaux et des systèmes de pouvoir, on devrait par exemple s’intéresser davantage à l’univers des jeux vidéo, qui tiennent aujourd’hui un rôle de premier plan dans la socialisation des jeunes. Car il arrive qu’on y simule l’effondrement de la police, des pompiers ou des hôpitaux, pour montrer une faillite générale du système politique, alors qu’à l’autre bout, il n’est pas rare de voir des hommes forts se dresser comme les nouveaux héros.

Evidemment, ce bilan intermédiaire sur les carences de la démocratie en 2016 est unilatéralement négatif. L’intention n’était pas de dresser l’inventaire de l’émergence et de la disparition des démocraties. L’idée est bien plus que la démocratie s’étend et se développe par étapes, et que nous sommes à l’évidence dans une phase de stagnation. La surmonter par la critique constitue le défi de tous les démocrates.

Claude Longchamp